jeudi 16 août 2012


« - Mère, c’est le Vidame de Saint Papoul ! » s’exclama Marie Bénédicte, lorsque le visiteur se redressa, superbe et dominateur, devant ces deux frêles ombres noires.
Le détaillant longuement du regard, Marie Bénédicte se disait qu’il portait toujours beau malgré ses quarante ans passés. La jambe longue, l’épaule large et le ventre plat, le vidame gardait la fière prestance de ses vingt ans. Seule son opulente chevelure brune striée de fils argentés trahissait son âge.
Et l’autre visiteur, presque aussi grand que le vidame, était beaucoup plus jeune avec un visage qui avait gardé quelque chose d’enfantin. Elle évalua l’âge de l’adolescent, pas plus de quinze ans, et déjà les traits caractéristiques du vidame. Cette ressemblance frappante bouleversa Marie Bénédicte car c’était le portait rajeuni de son frère tel qu’elle le vit la dernière fois.

Madame Fey de M. détourna son regard vers l’étroite fenêtre du parloir. Ainsi il a fini par revenir, celui qui avait été si peu son fils, ce vidame sans vocation religieuse. Et oser lui rendre visite accompagné de ce jeune homme qu’elle devinait être son fils, affichant ainsi le mode de vie qu’il a toujours voulu avoir ! Cette impertinence était bien de lui, le seul de ses six enfants à avoir toujours bravé l’autorité parentale !
Prématurément vieillie par les jeûnes et les privations, cette mère peu tendre ne supporta pas la vision insolente de cet homme qui éclatait de santé et de prospérité. Elle se retira sans dire un mot, laissant sa dernière-née, Marie-Bénédicte, se charger de l’entretien. Lorsque Marie-Bénédicte vint la retrouver dans sa cellule, deux heures plus tard, Mme Fey de M. lui reprocha d’être restée longtemps auprès de ces deux visiteurs. Ne lui avait-elle pas expliqué que ce fils-là avait profondément déçu son père en se détournant de la voie que l’on avait tracée pour lui et que sa visite n’était qu’un moyen de remuer cruellement le passé douloureux. Devant la diatribe maternelle qui la laissa pantoise, Marie-Bénédicte préféra lui répondre intérieurement : « Mère, ne voyez-vous pas qu’il n’était guère destiné pour être un obscur curé de campagne, sans ambition et sans vocation ! » Surtout avec cette séduction innée et cette nonchalance qui le rendait à la fois attirant et distant…

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